Transcript de la conclusion de l’épisode
Sara Bonjour à tous et à toutes aujourd’hui nous sommes ravis de recevoir Marie-Cécile Godwin et Fanny Parise pour parler numériques essentiels vu au prisme de leur métier de designer et d’anthropologue. Ça nous amènera à discuter choix individuels, injonctions paradoxales, imaginaires et projets politiques, pérennité des organisations dans un monde contraint et en sous-jacent on abordera les questions des numérisations, d’arbitrage et de renoncement et forcément un peu de modèle de société. Alors Marie-Cécile, bonjour,Tu es designer critique,tu es UX researcher, tu es enseignante en design notamment au sein du master of science strategy and design for the anthropocene tu te décris toi-même comme adepte d’un design radical empreint d’inclusivité, d’accessibilité et de politisation. Tu accompagnes des personnes et des organisations dans leur processus de redirection écologique et, à ce titre, tu es membre de l’écosystème de la redirection écologique. Tu contribues à des projets autour des logiciels libres notamment au sein de l’initiative conviviel Avec le chapitre lyonnais d’IxDA, tu as co-organisé la conférence Interaction 18. Tu fais partie de l’association Designers Éthiques et co-organises la conférence Ethics By Design depuis 2020. tu as également co-créé, tu fais beaucoup de choses ! Tu as également co-créé et tu animes le think tank common-futures Et comme tu me l’as dit en préparant ce podcast, pour ne pas péter un câble “tu teins des moutons”, tu as une activité de teinture de laine sous le nom madame Guillotine. C’est bien ça ?
MC Godwin Absolument, même si common-futures est mort de sa belle mort je pense après le COVID.
Sara Fanny, quant à toi, tu es anthropologue et essayiste spécialiste des mondes contemporains et de l’évolution des modes de vie, tu enseignes les sciences humaines et sociales à l’école de design Strate de Lyon et tu es chercheuse associée à l’institut Lémanique de théologie pratique de l’université de lausanne Tu es également directrice de la recherche et de l’innovation de Polaria en design éthique. Tu es fondatrice du collectif Magical Thinking qui est un labo de recherche créative et éthique. Tu es l’auteur du podcast “sous contraintes” que tu réalises en partenariat avec le média Novethic et enfin, tu as publié de nombreux ouvrages dont récemment Les Enfants gâtés (chez Payot en 2022 ), et NO CARBON également chez Payot en 2023. Est-ce que c’est ok ?
Fanny Parise C’est ok et bonjour !
Sara Donc je vous propose de démarrer cet échange par la question qui devient traditionnelle dans notre podcast numériques essentiels 2030, c’est votre vision des numériques essentiels : ce serait quoi, ce ou ces, numériques essentiels selon vous ? Comment le design, l’anthropologie peuvent aider à décider ce qui est essentiel ou pas et pour qui pour quoi ? ça ressemble à quoi ces numériques essentielles ? Et je te propose de démarrer Marie-Cécile face à cette question de fond, n’hésitons pas à le dire, à travers ta vision de designers
MC Godwin Très bien je vais prendre une grande inspiration Je vais avoir des réflexes aussi un peu d’anthropologues finalement, je vais me poser la question ça veut dire quoi essentiel ? ça veut dire quoi pour qui ? ça veut dire quoi dans quel laps de temps ? Je vais me poser toutes ces questions-là et je vais aussi me poser des questions du type vous préférez quoi vous : vivre sur Mars dans une espèce de capsule avec tout le temps une combinaison et un casque ou alors vous préférez ne pas soigner des gens qui ont des tumeurs au cerveau avec des machines à IRM ? Je pense que ça va rejoindre un peu peut-être, cette posture de questionnement. au lieu de dire “pour moi le numérique essentiel c’est ça” je vais plutôt poser des questions aux gens
Sara D’ailleurs là-dessus fanny toi tu parles plutôt de numériques utiles
Fanny Exactement parce que du moment où on parle de numérique essentiel c’est-à-dire qu’on va créer des cases sur ce qui est important et ce qui l’est moins entre l’essentiel et le superflu et comme l’a abordé de manière indirecte marie-cécile le risque d’imposer à certaines populations ou à certaines situations un numérique qui paraîtrait essentiel dans certains intérêts qui ne seraient pas forcément dans l’intérêt du collectif ou du bien commun lorsque l’on parle de numérique ultime c’est-à-dire comment on fait des choix de société et comment on s’intéresse davantage par exemple soit à la valeur étendue d’un usage ou d’un équipement lié au numérique ou digital au sens large et qui va profiter ou le moins nuire possible aux autres et je te rejoins totalement dans le fait que aussi un numérique utile c’est pas un numérique qui fait des choix de sociétés dans quel monde on veut vivre : est-ce qu’on veut vivre dans un monde de metavers et hyperconnecté ou on veut vivre dans un monde où des gens pourront être soignés de manière pour le coup utile donc ça va être l’impact a posteriori d’un numérique qui n’est pas forcément essentiel parce que l’essentiel c’est aussi une construction sociale qui va dépendre des moments de société ce qui est essentiel ou superflu aujourd’hui ne le sera pas forcément dans le monde contraint qui est encore invisible aujourd’hui mais qui sera visible demain et après-demain
Sara Ok très intéressant ces concepts là on s’était dit peut-être qu’on allait suivre un peu le fil de l’eau d’explorer cette dynamique numérique essentielle à travers trois niveaux et déjà le niveau micro individuel alors de vos postures d’anthropologues et designers par exemple mais aussi en explorant ce que ça peut avoir comme impact sur l’individu Marie-Cécile, je te redonne le micro sur cette amorce un peu plus individuelle
MC Godwin oui ben je suis designer, designer critique. J’ai trouvé un petit jeu de mot sympa : critique parce que j’aime bien avoir du recul sur les choses et garder une position critique sur mon travail et puis critique parce que la situation est critique, magnifique ! La criticité des enjeux aujourd’hui nous force à voir les choses autrement et ça veut dire quoi designers ? Chaque fois on me dit “tu fais quoi dans la vie” ? je suis designers ah d’accord tu fais des sites web ? Non pas vraiment J’aide les gens à réfléchir, en tout cas c’est comme ça que je décris la chose, et si je devais reboucler avec les sujets très critiques qui m’habitent, cette question du numérique essentielle est là, des numériques essentiels aussi, et ce qui m’intéresse aussi c’est de permettre au plus de personnes possible de rentrer dans des sujets complexes un sujet complexe c’est par exemple le changement climatique, la justice sociale l’anthropocène, ce sont des sujets très complexes et moi je vais essayer grâce à mon métier de designers de modéliser ces sujets complexes un peu comme vous imaginer un ovule c’est une sphère comme ça il y a plein de petits de bestiaux qui essayent de rentrer dedans et ils ne trouvent pas forcément leur porte, et moi je suis là pour représenter le plus de portes possibles, pas pour dire qui va prendre quelle porte, moi j’ouvre des portes quand je joue je les je les matérialise puis après les gens rentrent dans le sujet donc finalement je peux m’engueuler avec un tech bro à la fin d’une conférence parce qu’il n’est pas d’accord avec ce que j’ai dit et quelque part peut-être que j’aurais finalement ouvert une petite porte qu’il ne verra pas tout de suite, qu’il verra peut-être plus tard Voilà donc je suis là pour créer des portes et si je créée des portes, ben comment je fais pour créer des portes ? ben aujourd’hui je crée des portes peut-être en vous parlant et en parlant à tous nos charmants auditeurs et auditrices mais en tout cas pour les créer il y a un travail de recherche derrière en tout cas un travail d’analyse de truc, de contexte, par exemple aujourd’hui pour préparer ce podcast je suis allé faire un travail d’information de description, quand on me demande numériques essentiels je vais essayer de décrire déjà le numérique à travers différents dispositifs, à travers des mots, à travers des phrases, à travers des représentations visuelles des tas de trucs et cette description elle demande quand même que je me pose des questions en tant que designers puisque j’ai un point de vue déjà autocentré, je veux dire l’objectivité n’existant pas, en tout cas c’est difficile d’être objectif, surtout quand on est designer, pour ma part j’ai besoin de bien comprendre le contexte, à qui je m’adresse, qui est autour de moi et puis quelles sont les dynamiques de pouvoir en place, quelles sont les oppressions, les systèmes économiques, sociaux, tout ce que vous voulez, autour de moi, c’est ce qui va me permettre cette description pour ensuite créer des dispositifs qui informent mes usagers, mes usagères Lawrence lessig, ce cher monsieur, qui a dit il y a un petit moment “code is law”, le code fait la loi en tout cas “est loi”, finalement le design aussi, parce que quand on designe une interface ou un produit numérique c’est moi ou les personnes qui font le même métier que moi, qui vont définir comment on fait un truc, comment tu retires de l’argent, comment tu prends tes billets de train sur une app (pas de message caché sur ce point) Comment tu consultes des post et surtout est-ce que tu peux t’extraire d’un flux de données ? est-ce que tu peux t’extraire facilement, cognitivement, de ton scroll infini sur instagram ou sur tiktok ? Je vais encore faire du gros name dropping là ce sera Ludwig Mies van der Rohe qui avait dit “la forme suit la fonction”, “form follows function” forcément la forme est dictée par la fonction donc moi mon travail de description il va avoir attrait à décrire la fonction correctement sinon je peux pas donner la bonne forme Ensuite la forme de ce dispositif que je vais créer plus tard y va en gros servir d’outil de médiation entre moi entre la situation que j’ai décrit et mes usagers Quand je dis que j’essaye de faire un design empreint de justice sociale c’est justement parce que je me dis que tout ce qui sort de sous mes mains, que ce soit une conférence, une interface, des études d’usage, un petit rapport à un client ou un partenaire, il faut que la captation d’informations rendre justice à ce que j’ai vu et c’est pour ça que mon design tente d’être empreint de justice sociale parce que cette description doit comprendre des informations importantes qui permettent à mes usagers de comprendre le monde, de savoir où il se trouve, comment ils se situent, qu’ils aient aussi la capacité de prendre du recul, la capacité de prendre du recul face à une interface numérique c’est de plus en plus rare et c’est de plus en plus précieux, parce que il y a beaucoup d’interfaces qui nous manipulent dans des comportements qu’on n’a pas forcément voulu adopter Tu souhaites rebondir fanny ?
Fanny Ben oui bien sûr je vais rebondir, donc moi en tant qu’anthropologue c’est l’étude de l’homme et des sociétés à travers l’espace et le temps et comme tu le disais à juste titre en introduction, je suis spécialiste des mondes contemporains et ce qu’on va faire généralement en complément, en binôme de ce que marie-cécile a dit, on va faire ce qu’on appelle une démarche anthropologique. Une démarche anthropologique c’est quoi ? c’est trois étapes qui permettent de capter la réalité non pas comme on aimerait qu’elle soit mais telle qu’elle est réellement. La première étape c’est la phase de description dont marie-cécile a très bien parlé qu’on appelle l’ethnographie et qui est une sorte de recueil des informations, des impressions et de tous les éléments qui nous permettent de comprendre la place qu’un service, une expérience ou un dispositif, va avoir dans la vie des gens et va s’inscrire dans un écosystème qu’il soit social, technologique, ou politique. Ensuite on a un premier niveau d’abstraction de la réalité qui est la deuxième étape qu’on appelle l’ethnologie. on va essayer de chercher une logique sociale aux phénomènes qu’on a observé en disant c’est cool on a vu plein de choses on a fait des listes, on a des impressions, comment on les met en musique et comment on comprend ce qui est en train de se jouer de manière visible et invisible, de manière plus ou moins complexe Le troisième niveau, qui est le deuxième niveau d’abstraction de la réalité, c’est l’anthropologie, on se dit comment on va essayer de comprendre comment ce que l’on observe fonctionne ailleurs de manière similaire même si on va avoir un autre vernis culturel. un exemple pour illustrer ceci pendant le confinement je travaillais sur les plateformes culturelles numériques et la place des séries télévisées dans la vie des gens pour continuer à faire société et on s’est rendu compte que les principes de circulation et d’échange de code de connexion des différentes plateformes culturelles numériques permettaient de continuer à faire société et de conserver un lien entre des individus, amis, collègues ou famille qui ne pouvaient pas se voir de manière quotidienne et ça en anthropologie on a un système d’échange traditionnel mi-marchand qui s’appelle “la coula” en papouasie-nouvelle-guinée qui permet via un échange de coquillages de colliers et de bracelets en coquillage de continuer à faire société autour de communautés qui vivent de manière très éloignée d’un point de vue géographique Donc la démarche anthropologique c’est vraiment de se dire comment dans notre caractère très technocentré de nos sociétés occidentales, on arrive à trouver des moyens de faire société qui vont être invisibles à nos yeux parce qu’ils sont omniprésents et l’adage de l’anthropologie c’est la diversité des cultures au prisme de l’unité de l’homme donc tout le job ça va être de gratter ce vernis pour trouver les invariants dans cette démarche anthropologique on va s’intéresser au processus de diffusion des innovations où là en fait le lien avec ce que fait marie-cécile va prendre tout son sens c’est quoi un processus d’innovation ? c’est un processus non linéaire qui suit trois étapes l’invention (technologique, de procédé, marketing, sociétal) donc là davantage technologique, ou même d’usage, puis on a la phase dite de diffusion ou en fait cette invention va faire son petit bonhomme de chemin et si elle fait sens dans la vie des gens cette invention va devenir une innovation du coup le travail de l’anthropologie autour des numériques qu’ils soient essentiels, utiles ou autres en fait c’est soit d’être en phase très amont très exploratoire avant l’invention en faisant une démarche anthropologique et en disant où est-ce que ça va avoir du sens par rapport aux pratiques, aux représentations et aux interactions sociales des individus ou alors davantage en phase beaucoup plus incrémentale soit pendant la phase de diffusion soit en réception en se disant pourquoi ça a marché ? pourquoi ça a pas marché ? et comment si on restitue un dispositif une expérience ou ce que vous voulez une interface comment l’optimiser pour que ça fasse réellement sens à la fois pour les individus et qu’on s’inscrit dans une dimension qui est éco-responsable ? une fois qu’on a dit ça on va avoir différents outils de quadrillage de la réalité pour pouvoir définir les contours d’un numérique utile. le premier c’est les échelles d’observation ou comment on s’intéresse à la fois la dimension psychologique aux routines individuelle et à l’univers matériel aux interactions sociales à la fois privée mais également dans le terme de l’activité professionnelle et comment on remonte ça à une échelle de société, comment on a des effets de contexte qui vont faire à un moment donné qu’on va avoir une adoption plus ou moins simple d’un dispositif et ensuite toutes les croyances et tout l’air du temps avec un climat pour le coup est très anxiogène par rapport à la transition, qui va avoir un impact sur les usages ou les non usages ça c’est le premier outil. le deuxième outil avec ce que j’appelle la roue de la contrainte. on va essayer d’avoir une approche systémique de la place un dispositif sociotechnique dans la vie des individus, on revient sur les routines quotidiennes, on s’intéresse aux enjeux de fracture socio-écologique, parce que comme on disait en amont ce qui est utile pour les uns ne l’est pas forcément pour les autres, ensuite on va s’intéresser à toutes les infrastructures et le système matériel qui va rendre possible la fabrication la diffusion l’approvisionnement etc, de ces dispositifs ensuite on va s’intéresser au système de gouvernance, quelles sont les politiques publiques et même privées associées à ça et quels sont les effets de lobbying ou autres qui ont un impact sur ce qui est disponible et la perception et enfin sur tout ce qui va être le religieux au sens large, le religieux peut être autant le capitalisme que les grandes religions en disant on va comment ça ça va avoir un impact ça c’est le deuxième outil et le dernier outil ce que j’appelle le tour du monde du capitalisme c’est comment on s’intéresse à la notion de valeur étendue d’un objet qui va de l’extraction des matières premières à sa fabrication à sa distribution à toutes les stratégies marketing et de communication à son usage et à sa fin de vie. et avec toutes ces dynamiques on se rend compte quels vont être, non pas les arbitrages à faire, mais qu’est-ce qui participe à créer de nouvelles valeurs ou une valeur pour le bien commun au-delà d’un usage ou d’un bénéfice immédiat qui peut apparaître être une bonne idée qui n’en est pas forcément une
Alexis C’est Alexis j’étais censé ne parler qu’à la fin mais j’interviens maintenant pour éclairer ma compréhension du sujet. Tu nous as parlé donc de essentiel versus superflu et de ce qui serait utile en parlant de la valeur étendue, usage, non-usage, en tout cas je comprends que tu fais le lien entre “est numériques utiles ce qui est utilisé concrètement” et est numérique inutile ce qui n’est pas utilisé ou qui ne trouvent pas sa fonction d’utilisation dans la société, en tout cas j’ai compris ça. Mais tu as fait une opposition de type construction sociale, ce qui serait essentiel est construit socialement. alors moi ça m’interroge je me dis “ce qui est utile ou ce qui trouve utilité, ne serait-il pas non plus construit socialement parlant ?” Est-ce que tu peux nous éclairer ?
Fanny Ah oui bien évidemment l’essentiel c’est une construction sociale et l’utile ça va être une imposition sociale par rapport à des enjeux qui vont transcender les classes sociales où les intérêts du politique ou de certaines catégories d’individus. Je ne distingue pas du tout utile utilisés ou inutiles inutilisés, c’est plus de se dire si on a un numérique qui peut servir le collectif, qui peut servir ce qu’on appelle la transition ou du moins permettre la continuité de l’habitabilité du monde est sur un numérique utile. Mais c’est pas forcément un choix qui va être individuel. à l’inverse d’un numérique essentiel qui témoigne du moins aujourd’hui tel qu’il est construit actuellement de certains arbitrages qui sont aujourd’hui portés par la culture de l’éco-responsabilité et qui représentent une nouvelle culture de la bien pensance, imposée de manière descendante au reste de la population et c’est là-dessus je suis pas d’accord.
MC Godwin C’est pour ça que moi j’aime bien travailler avec des anthropologues en fait, tu viens tu mets le bazar et puis après on se débrouille
Fanny avec le sourire !
Sara Donc là où on a parcouru le niveau individuel, tu disais aussi que toi dans ton job de designers l’idée c’était d’être capable de décrire puis d’informer au plus juste pour quelque que par que les personnes puissent faire leurs leurs choix et leurs arbitrages Maintenant si on passe à un niveau un peu plus collectif comment tu relis cette approche individuelle vers le collectif ?
MC Godwin En tant que designers je suis quand même située je suis une personne en plus je suis une femme blanche valide en tout cas en apparence, ça donne quand même une teinte en tout cas je ne peux pas parler de décrire justement un dispositif si je déconstruit pas moi-même mon regard sur les choses et si je permets pas à autrui de comprendre aussi d’où vient mon point de vue et où est leur point de vue également et en gros comment on va faire société en fait. Moi, j’ai un agenda l’agenda redirectionniste. Il est tout simple, en tant que designers c’est peut-être là la principale distinction entre anthropologues et designers, c’est que moi j’ai un agenda et je dis clairement. Rediriger… non je ne sais pas si c’est rediriger notre société ou le monde tel que nous le connaissons dans les limites planétaires, c’est pas sûr… Peut-être que c’est finalement nous assurer une dignité relative dans la destruction de nos conditions de vie telles que nous les avons vécues jusqu’à présent.
Cet agenda nécessite qu’effectivement je pousse un peu les gens à se poser des questions sur “ bah, c’est quoi pour toi un numérique utile ? C’est quoi, pour un quartier, une ville, un ministère, un continent ?” Et comment après je peux augmenter aussi le champ de possibilités des personnes pour qui je conçois ? Par exemple, j’ai filé un coup de main à une association qui travaille dans l’éducation populaire, pour notamment les enjeux liés numérique, c’est framasoft, et finalement quand je les aide à faire des petites interfaces pour un logiciel libre, ou alors penser leur manifeste ou penser quelque chose comme ça, moi ça me permet plusieurs choses : déjà ça avance mon agenda redirectionniste, puisque grâce à des structures comme Framasoft, le monde ce sera peut-être moins pire. Voilà, on va peut-être réussir à parler un peu plus de comment on garde du commun justement, et qu’est-ce qu’il y a derrière le numérique, à quoi on peut renoncer aussi. Peut-être qu’il y a des trucs… Le métavers, personne n’en veut, c’est bon ! C’est bon, c’est fait, là, on le sait maintenant. C’est mon collègue Gauthier Roussilhe, Gauthier si tu nous écoutes, Gauthier qui est passé par là je crois, qui disait dans l’épisode précédent où vous l’aviez invité, il dit “moi je m’intéresse pas aux nouvelles technologies avant trois ans”, comme ça ça leur laisse le temps de mourir si jamais… Et effectivement le métavers ben voilà quoi c’est fait.
Donc, pour un peu avancer cet agenda personnel mais aussi collectif, parce que rediriger le monde dans les limites planétaires ou faire en sorte qu’on soit qu’on ait des existences dignes malgré les changements à notre porte, c’est quand même très collectif comme objectif, donc je ne peux pas non plus dire que je suis là juste par ma petite volonté. Mais ce qui m’intéresse aussi à travers les trucs que je designe, c’est de faire en sorte que les gens puissent faire naître des projets de société qui ressemblent à quelque chose. Par exemple détruire le capitalisme. Je vais m’engueuler avec Frédéric Lordon qui dit que c’est un objectif très clair et je ne suis pas d’accord c’est pas clair du tout : ça me dit pas par où il faut que je m’y prenne, qui il faut que j’aille voir, qu’est-ce qu’il faut que je fasse… Voilà donc c’est là où on se retrouve avec notre ami l’éco-responsabilité et le capitalisme responsable… Fanny va nous en parler parce que c’est juteux ! Moi, j’aime ça, j’adore ! (Rires).
Donc, oui, je suis là pour dire on va écouter, oui, remplacer le capitalisme ou détruire le patriarcat ou je ne sais pas quoi ou réenchanter l’urbain. Ca c’est des trucs non je suis là pour leur donner une dimension un peu plus concrète quand même !
Voilà, faire évoluer la législation autour des systèmes d’opérations de smartphone pour qu’on intègre des paramètres qui permettent de configurer pour que ça utilise moins de data, qu’on puisse faire évoluer des éléments de design pur et dur pour que les personnes puissent avoir plus de pouvoir sur les décisions qui prennent. Voilà, ça, ça m’intéresse. Ca, c’est plus concret, on peut se rallier autour de ça.
Il y a eu des dernières évolutions législatives au niveau de l’Union européenne qui prouve bien que c’est un peu plus concret que détruire le capitalisme, par exemple. Tu vas rebondir sur les questions de détruire le capitalisme, Fanny ?
Fanny bien évidemment, toujours, avec plaisir ! Non, mais ce que tu dis à juste titre Marie-Cécile, c’est que toi, tu as un agenda et des outils qui permettent d’accompagner et de mettre en œuvre un changement beaucoup plus radical que ce qui nous est proposé actuellement via le capitalisme responsable.
Marie-Cécile Bah je n’y arrive pas…
Fanny oui, oui, sur le principe on n’y est pas encore… Le capitalisme responsable c’est quoi ? C’est une idéologie qui vise à faire rimer profitabilité économique et transition socio-éco-environnementale et qui prône en réalité un changement au prix du moindre effort via la transformation de certains process en interne des entreprises et le déplacement de certaines pratiques de consommation en fait. Ca viserait à rendre possible et même désirable la transition socio-écologique. Nous, ce qu’on prône avec Marie-Cécile, c’est que bien évidemment en fait une transition et un changement au prix du moindre effort dans un système capitaliste est une belle histoire qu’on nous raconte pour maintenir à flot un système en bout de course. Donc si Marie-Cécile est designer critique, je suis beaucoup plus lâche qu’elle parce que moi je mets gros coup de pied dans la fourmilière où je mets à plat des grands enjeux de société via l’observation, l’analyse et et l’abstraction théorique de modèles. Et à partir de ça j’espère, que d’autres personnes tout simplement arrêteront de croire dans le capitalisme. C’est pourquoi en fait c’est un principe de l’intersubjectivité. Que ce soit les entreprises, l’État, les religions, la monnaie, ou ce que vous voulez ou les marques, en fait elles visent à faire en sorte que des individus qui ne se connaissent pas (puisse) parler d’interconnaissance direct collaborent en croyant à des images et à des choses qui vont être communes. Si on arrête de croire que le capitalisme est la seule voie unique, la redirection écologique et la planification associée pour une économie par exemple déjà rien que stationnaire prendrait un tout autre sens. Donc moi, mon engagement d’un point de vue politique, c’est ça : c’est de se dire comment on met à plat une réalité qui semble complexe et qui est multiple mais qui n’est pas si complexe que ça pour se dire comment le capitalisme n’est pas notre sauveur, comment les entreprises n’ont pas à nous imposer être les églises de la transition (sinon je suis clairement une hérétique du capitalisme et des entreprises) mais, comment loin de disparaître, le capitalisme peut devenir une option parmi un ensemble de structures de société. Et ça vise à questionner la place de l’État, du pouvoir, et des entreprises d’aujourd’hui. Et dans toute cette réflexion là, c’est se dire quelle est la place d’un numérique qu’il soit essentiel ou utile, en fonction des définitions qu’on lui donne, et quels sont les pans de notre vie qu’on dénumérise quelle est la place et l’impact du low-tech, et comment on a une vision à la fois plurielle en termes de structure de société mais de systèmes sociotechniques intelligents ou non qui vont y être associés pour créer une cohérence globale.
Sara Tu veux réagir Marie-Cécile ?
Marie-Cécile Ah oui ça ça me fascine ! Pour ma part, le fait de de parfois me rendre compte que le capitalisme en fait, il est très très jeune à l’échelle de l’existence humaine en fait ! Comment on a réussi à se laisser embarquer, se laisser enfermer dans cette mono obsession, c’est fou ! Tu parlais de pluralisme de moyens, de façons de procéder, enfin c’est fou quoi ! Quel est ton point de vue là-dessus ? C’est moi qui pose les questions manifestement (Rires).
Sara vas-y, vas-y ! (Rires)
Fanny en fait le capitalisme est une belle histoire qui est plus un épiphénomène et presque une erreur à l’échelle de l’humanité et au final ça nous propose une histoire qui est très séduisante et qui s’inscrit dans la continuité des modèles totalisant qui ont été apportés par les grandes religions du livre. Et si on regarde un petit peu en arrière, au siècle dernier — donc c’est pas très très loin — les autres modèles politiques totalisant ça a pas forcément été beaucoup plus brillant. Donc comment en fait on trouverait des solutions pour demain avec des outils et des solutions qui ont conduit à des génocides et à plein de choses pas très sympas. Donc en gros, en fait moi mon job, c’est de faire en sorte que les gens n’y croient plus déjà et après les actions mettre en place et si on est sur des systèmes et des approches qui sont beaucoup plus décentralisés, où on est sur d’autres échelles. On va avoir de fait des manières de faire société qui vont être différentes.
Marie-Cécile on va frôler le point godwin et comme c’est mon nom de famille je me sens un petit peu responsable… (Rires).
Fanny c’est beau ! (Rires)
Alexis Mais ça peut être intéressant quelle est votre définition du capitalisme parce que ça c’est le mot… Pourtant je suis pas le moins anticapitaliste autour de cette table et en même temps ça, ça peut me manquer… De quel capitalisme on parle lorsqu’on parle du du boulanger qui possède ses moyens de production, qui a probablement toujours existé y compris dans une société féodale ou… Voilà c’est quoi la définition du capitalisme soit d’un produit anthropologique soit du point de vue de ta place ?
Marie-Cécile je vais commencer puis après tu vas éclairer parce que avoir un point de vue d’ignare sur la question. Pour moi, en tout cas, comment je définirais le capitalisme : c’est un système… En plus je ne sais même pas d’où il vient… On parle de ce truc nébuleux… il y a pas des personnes qui sont à la tête. Il n’y a pas un grand PDG du capitalisme. Bon, il y en a, des grandes figures… mais bref… Pour moi c’est vraiment un système qui est extrêmement résilient, extrêmement résistant, et qui va réussir à prôner l’extraction de valeur et de profits, profits exponentiels quoi. Mais je je pourrais pas en dire plus.
Fanny alors comme je disais un petit peu précédemment, je travaille davantage sur le capitalisme responsable, qui est un peu une idéologie — on va dire d’actualité — qui rend compte de la plasticité du capitalisme. Le capitalisme on peut le penser comme un système totalisant qui va régir nos manières de vivre, de penser, de croire, et surtout de produire. Un système de production qui va être basé sur l’extraction et la destruction pour pouvoir créer de la richesse de manière exponentielle, parce que plus on a de la richesse plus on en veut pour pouvoir se développer et c’est ce qu’on appelle le progrès, notamment techno-orienté dans une perspective occidentale. Cette définition n’engage bien évidemment que moi. Ce qu’on a pu observer depuis la révolution industrielle, c’est qu’à chaque fois qu’on a une nouvelle énergie qui est perçue comme illimitée, bon marché, et facile à extraire, c’est autant de potentialités d’apporter du confort aux populations et ça on ne peut pas dire le contraire et d’un autre côté de faire plus de profits du coup d’avoir de la croissance qui signifie du progrès. À chaque étape, on a l’impression que cette nouvelle énergie va être positive sauf que les autres n’arrêtent pas du tout d’exister et d’être produites et qu’on va avoir un emballement en termes de volume et que le progrès social que l’on va avoir d’un côté va amener des régressions d’autres côtés mais qui vont être invisibilisées parce que toute la force du capitalisme c’est de nous faire perdre pied avec la réalité et de nous propulser dans les imaginaires en oubliant soit d’un point de vue géographique soit d’un point de vue de distanciation sociale toute la souffrance du vivant et des autres qui est nécessaire pour qu’on puisse avoir une fringue de l’ultra fast fashion ou qu’on puisse aller à Bali trois fois par an. Donc ce qui est intéressant, c’est qu’au-delà de tout ces changements énergétiques quand il y a eu des changements de société et des prises de conscience des individus comme le capitalisme c’est un petit peu une grosse nébuleuse qui a une très grande plasticité va avoir la capacité de capter l’air du temps et les problématiques actuelles non pas pour qu’il soit moins fort mais qu’il puisse rester au cœur des préoccupations des individus. Du coup, il y a un ouvrage est sorti maintenant il y a vingt ou trente ans qui s’appelle La révolte consommée et qui montrait comme très bien comment dans les années quatre vingts on avait des consommateurs qui ne voulaient pas s’extraire du système consumériste mais davantage positionner la consommation comme un moyen d’avoir une action politique, chose qui était, on va dire, assez militant à l’époque. Le capitalisme l’a capté, l’a mangé, et aujourd’hui on est à un point où la consommation éco-responsable en fait c’est devenu une nouvelle forme d’hyper consommation, qui nous amène un petit peu plus rapidement dans le mur mais avec le sourire et la bonne conscience.
Marie-Cécile ChatGPT l’a confirmé ! Chat GPT, tu lui donnes 100 dollars et il investit enfin te propose de créer une boutique de produits éco-responsables en dropshipping et c’est juste parfait quoi !
Fanny c’est le reflet de notre société et là en fait on ne peut même pas critiquer, et ce n’est pas notre objectif. C’est de se dire qu’on met la réalité à plat on voit bien qu’à des tensions qui sont presque inconciliables parce que changer de société sans changer la société mais en fait ce n’est pas possible si on nous raconte le contraire justement en termes d’objets, services ou expériences du moment où ça paraît simple, éco-friendly et qu’on se dit putain pourquoi on l’a pas fait avant et en plus on est content d’en parler à ses amis ou à ses collègues c’est qu’on est en train de se faire avoir, qui a une couille dans le potage pas du tout éco-responsables. Sauf qu’on va porter notre regard sur quelque chose qui est agréable à penser qui s’inscrit dans un nouvel air du temps mais qui est toujours déconnecté des réalités du plancher social et des limites planétaires.
Sara j’entends à travers vos paroles comme un “Les numériques essentiels, c’est ce qui permet, une fois qu’on a dégraissé toute la couche marketing issu du capitalisme, on arrive à effectivement en tant qu’individu à faire ses choix mais comme on est dedans c’est pas évident”. (Rires)
Fanny alors du coup je vais me permettre de répondre en premier ce qui est très dangereux actuellement, c’est qu’on est sur une hyper responsabilisation de l’individu, de l’usager, du consommateur, du citoyen au profit d’une dé-responsabilisation du collectif et là, j’entends autant l’État que les entreprises, mais à un moment donné ce n’est pas sur un individu ou sur des individus que doit reposer toute la charge mentale liée à un changement. Ça, c’est le premier élément. Le deuxième élément c’est que quand tu parles de dégraissage, le marketing c’est un petit peu le bras armé du capitalisme avec tout ce qu’on vient de dire précédemment. J’ai beaucoup travaillé sur ce que j’appelle le marketing du chaos, où on se rend compte que, à mesure qu’on a eu une sorte de moindre désirabilité par rapport à l’hyperconsommation et de défiance envers l’état et les grandes entreprises, en fait le marketing, en tant que bras armé du capitalisme à teinté ses communications, ses approches et donc par la suite toutes ces stratégies d’innovation autour de l’éco-responsabilité a tel point que les individus qui qui ont une hyper responsabilité en fait, ils ont fait plein de changements. Et ça en fait si on s’intéresse à la dimension individuelle et notamment psychosociologique se rend compte que depuis dix ans les gens en fait la majorité des personnes qui sont pas sous contrainte trop forte d’un point de vue économique ont fait plein de changements mais par contre si on dézoome et et qu’on essaye de se détacher de ce qu’ils ressentent à juste titre et que je ne remets pas du tout en cause, on se rend compte que rien n’a changé que tout est fait pour les maintenir dans un état de désirabilité permanente de l’éco-responsabilité. Et du coup ce marketing du chaos est super traître parce qu’on ne peut pas en vouloir aux gens. Et tant que le marketing ne vient pas au service du chaos et n’accepte pas de voir fermer les entreprises, de les rediriger, et au final de ne plus avoir une place si importante dans la société qu’on a pas d’autres faiseurs de récits parce que le marketing c’est comme Netflix, c’est la même merde, c’est comment ça structure nos manières de voir le monde et ça va avoir un impact indirect sur notre manière d’avoir des choix de société et bien en fait le numérique utile ou essentiel n’existe pas.
Sara Marie-Cécile, je te vois opiner !
Marie-Cécile (Rires) oui, j’opine parce que parce que je n’aurais pas dit mieux ! Ça me fait penser à quelque chose : en redirection écologique, on se pose beaucoup la question des conditions d’existence et on essaye justement de déjouer parfois enfin souvent les messages du capitalisme… Alexandre Monnin disait il y a pas très longtemps, enfin lui entre autres, il y a aussi Emmanuel Baudin et Diego Landivar enfin c’est les trois rois mages à l’œuvre dans ce mouvement (Rires), oui, il le savent ! (Rires). (Ils disent) que les conditions d’existence d’un smartphone c’est l’exploitation des minerais rares par des populations opprimées dans des conditions absolument dégueulasses. On ne peut pas avoir de smartphone sans ça, voilà. On peut avoir des smartphones moins dégueulasse mais en tous cas, comment ensuite nous, en tant qu’individus et potentielles acheteuses de smartphones, on arrive à arbitrer avec ça ? Bah en fait on ne peut pas en fait, parce que la condition d’existence de ça, c’est l’exploitation et l’extractivisme. Du coup, ça pose aussi beaucoup de questions dans le design. Moi la première ! Enfin je contemplais tout à l’heure en rentrant dans le TGV, chaque personne avait son smartphone et scannait son billet, son e-billet, un gros QR code. Je me suis replongé dans les dans les meilleures nouvelles de SF d’il y a quelques décennies : chacun aura sa petite puce ! C’est comme Aral Balkan qui parle du smartphone comme si ça faisait partie de notre corps quelque part… On est des cyborgs, on a des extensions comme ça, il n’est pas intégré dans notre chair, mais en tout cas pas bien loin quoi, quand on voit qui est toujours au bout de notre main, tu dis comment le machin il ne colle pas à la fin.
Fanny c’est intéressant de voir comment on essaye de déjouer les messages contradictoires et les illusions du capitalisme tout en essayant quand même de faire avec parce que… il est là, quoi ! Et moi aussi en jeu je vais dans les grandes surfaces. Enfin de moins en moins… mais même quand tu fais des choix individuels tu restes attaché malgré toi. Des attachements , attachements subis à des choses que tu ne peux pas maîtriser, quoi ! En fait du moment où on fait le choix de rester dans ce système-là, il faut faire le choix d’accepter les contradictions et les paradoxes parce que sinon on fait sécession et on on va vivre dans une communauté. Et c’est là toute la force du moment de société dans lequel on vit et qui fait que même si on résiste, c’est comme si on pissait dans un violon, quoi !
Marie–Cécile le coup de la sécession… Je rebondis, excusez-moi, fallait pas nous inviter ! Vous étiez au courant, enfin ! On a jusqu’à quelle heure ? Dix-neuf heures ?
Le coup de faire sécession, ça pose aussi une grande question de la redirection écologique et dans le design, de manière générale dans la justice ,c’est que pour faire sécession faut pouvoir avoir suffisamment de privilèges pour le faire, il faut avoir des moyens, il faut pouvoir se projeter dans d’autres imaginaires, il faut pouvoir acheter du terrain, il faut pouvoir créer sa petite commune ! C’est aussi ce qu’on essaye de ce à quoi on essaie de réfléchir… Qu’est-ce qu’on fait des gens qui n’ont pas le privilège de pouvoir faire sécession en fait ? Faire sécession, c’est peut-être un petit peu égoïste en fait… Après je ne juge pas j’ai pensé bien des fois ! Partir dans sur une île en écosse et avec des moutons autour de moi… Mais ne pas faire sécession, ça veut dire aussi attraper ce qu’il y a devant nous qui est dégueulasse, mettre les mains dans le cambouis et dire “bon bah OK, le capitalisme il est là, qu’est-ce qu’on peut faire pour essayer de le déjouer ?”, pour essayer de contrer aussi notre propre souffrance. Souffrance ? Si, si, les injonctions contradictoires ça devient une souffrance à un moment. (S’adressant à Fanny) : tu confirmes ?
Fanny C’est une souffrance à l’échelle individuelle et du coup les individus en fonction des différents capitaux, sociaux, culturels, et économiques vont trouver des solutions différentes qui leur conviennent pour rendre acceptable ces injonctions et ses contradictions. Et ça va trop ça va créer de nouveaux troubles ou nouveaux phénomènes sociaux comme le crédit moral : une bonne action permet de justifier des actions plus dégueulasse donc si on trie ses déchets, ça passe d’aller au macdo ou de prendre l’avion l’été. On va avoir aussi l’illusion de l’empreinte négative qui va être bien aidée par le marketing du chaos en disant bon, bah comme on a l’impression de bien consommer alors qu’au final on consomme pareil voire pire qu’avant on a aussi toutes les logiques autour de l’effet rebond. C’est que si on produit qu’on consomme mieux ça nous amène à rendre encore plus désirable et à davantage utiliser les dispositifs et ça dans la tech, le numérique, ça se voit très bien du moment où on est sur des choses à économie d’énergie ou qui sont moins énergivores les individus ont tendance à plus l’utiliser parce qu’ils disent c’est bon d’un point de vue énergétique c’est davantage propre, etc. J’avais travaillé sur la théorie des animaux mignons ou les personnes qui justifient le fait de diminuer leur consommation de viande. Lorsque l’on ouvre les réfrigérateurs, on se rend compte qu’il n’est pas question de consommer moins de viande, mais de rendre acceptable la continuité et la permanence de la consommation de viande. Donc on a tous ces mécanismes qui viennent brouiller les changements plus objectifs que l’on peut avoir. La consommation de viande augmente, les grandes entreprises se sont jamais aussi bien portées, les actionnaires ont eu des dividendes records cette année, le PDG de TotalEnergies a reçu la légion d’honneur… Est-ce qu’on doit rajouter quelque chose d’autre ? (Rires)
Marie-Cécile mais moi je ne mange pas de lapin parce qu’ils sont mignons ! (Rires) Mais voilà ! C’est marrant parce que dans ses travaux tu parles des “baskets de la rédemption”… Est-ce que le Fairphone est un smartphone de la rédemption pour toi ? (Rires)
Fanny pour le coup, oui, mais comme en fait il concerne vraiment une niche de la population, il a beaucoup moins d’impact. C’est plus un totem de reconnaissance entre néo- sauvages qu’autre chose, alors que la basket de la rédemption, vu que c’est devenu presque l’objet le plus développé aux pieds des gens au final, que ce soit des marques très spécifiques que je ne citerai pas parce que je les ai assez cités, ou d’autres grandes marques qui essaye de faire mieux avec des collections capsule éco-responsables ou changer soit certaines matières soit certaines couleurs permettent à tout le monde d’avoir un artefact qui renvoie vers l’éco-responsabilité, du moment où ça intéresse des gens. Parce qu’il ne faut pas oublier qu’on est quand même ici sur des problématiques qui sont très socialement situées, que la majorité des gens n’en ont rien à foutre, ce ne sont pas leurs problématiques. Et là en plus on est à une échelle occidentale et on a plein d’individus notamment l’émergence des classes moyennes mondiales qui viennent mettre aux oubliettes ce qu’on est en train de se dire aujourd’hui.
Marie-Cécile on verra quand on va cramer, ben on verra si on a de la bande passante pour s’acheter des baskets de la rédemption ! (Rires)
Sara alors est-ce que vous avez des pistes pour sortir un petit peu de toute cette dynamique qui vient d’être exposée, et notamment si on se raccroche au numérique, comment on peut aider quelque part les organisations les individus à penser plus sobre, à penser de-numérisation. Est-ce que vous avez des pistes ?
Marie-Cécile dans mon cas pour des designers, avec mes petits moyens designers, j’essaye… Déjà, il y a une solution qui me paraît indispensable c’est l’éducation. Je me mets au service de des petits élèves de design des écoles enfin de certaines écoles pour essayer de les éveiller et de leur dire ne faites pas les bêtises que mes parents boomers et moi avons fait, à leur apprendre, enfin à réapprendre des trucs qui à l’échelle de la société ont été complètement oubliés du type réparer les trucs, récupérer, enfin l’époque des villes zéro déchet n’est pas si lointaine ! Au début du siècle dernier, où il y avait des chiffonniers, il y a des gens qui récupérait les graisses animales en fait. Partout dans la ville il y avait plein de petits scrapers qui venaient. Enfin, il n’y avait pas de déchets à proprement parler, c’est un truc complètement humain. Ce qui m’intéresse donc c’est d’expliquer aux jeunes designers qu’il y a des choses qu’on a oublié. Je ne dis pas qu’on est on doit revenir en arrière je dis juste que il y a eu le capitalisme, il a occulté une certaine part de bon sens individuel et collectif. Il y a des moyens aussi d’agir… L’éducation, après… encore une fois je vais continuer à essayer de prôner des choses un peu différentes. Dans le numérique, penser, par exemple… Là en ce moment, je travaille avec un petit groupe d’amis, je ne suis pas que freelance toute seule, j’aime bien aussi m’entourer de personnes brillantes comme Fanny par exemple ! même si tu n’es pas sur ce (ce groupe précisément).
Marie-Cécile le but est de faire entrer la soutenabilité forte dans les processus d’innovation d’un grand groupe, tout de suite on a sorti les gros mots là, attention ! mais la soutenabilité forte c’est la soutenabilité qui parle des mécanismes du vivant, c’est le truc genre recyclable à deux mille pour cent mais par contre avec un rendement de merde mais c’est pas grave puisque ce sera recyclable à deux mille pour cent. il n’y aura pas d’extractivisme mais voilà ça c’est technologie vivante, je vous renvoie à, je le cite tout le temps, José Halloy et ses technologies zombies, c’est brillant ! Donc on a cette (incompréhensible) très forte et puis après on a l’éco-responsabilité et au milieu il y a un fossé. Ce qui m’intéresse donc, dans le cadre des organisations, on en parlera des organisations : est-ce qu’il faut les sauver je ne suis pas sûre ? Je n’ai pas d’avis encore complètement tranché sur la question mais aider les entreprises ou les organisations à penser la soutenabilité forte ça me permet aussi, par exemple, d’imaginer de nouvelles grilles de lecture, des nouvelles grilles de jugement au sein d’un grand groupe. Ces dispositifs d’entrepreneuriat par exemple où les gens viennent pitcher des projets de d’innovation, j’ai fait des guillemets avec mes doigts : je vais leur poser des questions, je vais mettre en place des grilles, des boussoles pour dire “eh dis donc ton système IA pour faire avancer les trucs dans les ateliers de je sais pas quoi, ils viennent d’où tes serveurs ? Qu’est-ce que t’as mis en place pour pour dire que ces machines tu vas les garder combien de temps ? Juste poser des questions, à travers des dispositifs tout simple, ça peut être juste faire accepter à un manager de faire passer un questionnaire ou une grille de paramètres ou de critères pour que les projets soient considérés comme innovants ou en fait dans l’innovation il y aura oui alors on a des outils comme les ACV ou les bilans carbone on ne va pas parler de tout mais le tunnel carbone c’est encore un problème sur lequel il faut qu’on travaille et qu’on avance parce que c’est bien beau de faire des ACV et de faire des bilans carbone mais ça fait pas tout. Il faut aussi penser à plein d’autres choses, pas du design régénératif et de la compensation, c’est même plus une question de dire combien tu abîmes et combien va falloir que tu compenses pour réussir à égaliser le niveau, non c’est avant ça, avant même d’avoir à jouer au connard compensé, est-ce qu’il n’y a pas un moyen qui nous permettrait de ne pas avoir à planter d’arbres dont la quasi-totalité mourront dans les cinq ans à venir. Je ne sais pas si c’est très clair ce que je raconte mais en tout cas il y a cette dimension-là de venir insérer des petits questionnements un peu partout grâce aux travaux de personnes comme Fanny, moi je viens même abreuver de ça… Si le but, c’est de ne pas tous cramer dans la perte totale de dignité, dans les guerres, les maladies et je ne sais encore quel autre désastre qui va nous tomber dessus, si c’est pas déjà fait, comment on peut quand même essayé d’insérer des petites questionnements des petits trucs à droite à gauche…
Sara alors Fanny justement c’est le questionnement la piste pour aider un peu tout ce mouvement à bouger ?
Fanny alors c’est pas simple, premièrement c’est différentes formes de questionnements, peut-être le questionnement d’avoir une vision assez systémique autour du numérique et en disant, de toute façon, à moyen et à long terme, voire à court terme, on ne pourra plus faire comme avant que ce soit au niveau de la disponibilité des matières premières mais également de l’accès soit ces matières soit aux systèmes techniques intelligents ou aux dispositifs qui nous permettent de vivre comme on le fait, que ce soit l’ordinateur, que ce soit le smartphone, etc.
Dès à présent, on est obligés de penser d’autres manières de faire avant que la contrainte ne s’impose définitivement à nous, donc si on part de ce principe là en disant qu’on a une évolution géostratégique qui va faire qu’on va être obligés de penser et de faire différemment : comment on positionne un numérique essentiel mais également du low-tech et du no tech aussi et comment on repense un certain nombre de dispositifs, les infrastructures, les manières de travailler et de vivre pour que ce soit le moins dérangeant possible avant qu’on ait un truc pas du tout sympathique qui nous arrive dans le coin de la gueule… Ça, c’est la première chose. La deuxième série de questionnements associés à ça, c’est de se dire : du moment qu’on est dans une société qui n’a pas changé et qui repose toujours sur les notions de croissance et de progrès, il y a peut-être une redéfinition des valeurs à avoir, on a notamment David Graeber qui questionne ses nouvelles théories de la valeur…
MC Godwin questionnait…
Fanny questionnait, oui !
MC Godwin tu nous manques David !
Fanny de se dire dans un monde fini aux ressources finies, si on veut soutenir l’habitabilité du monde, comment on arrive à redéfinir un certain nombre de valeurs et comment on donne de l’importance à de nouvelles choses parce que un monde sans croissance n’est pas un monde sans progrès et ne veut pas forcément dire décroissance ou retour au moyen-âge donc ça c’est vraiment de se dire comment on crée du sens de manière différente La troisième série de questionnements c’est de se dire : quelle est la place de la contrainte ? Aujourd’hui dans nos sociétés, tout est fait pour que l’agréable et le confortable soient mis sur le devant de la scène pour oublier à quel point nos modes de vie reposent, comme on l’a déjà dit à de nombreuses reprises, sur la souffrance des autres. Mais c’est quoi une contrainte ? C’est une norme qui n’est pas encore intégrée en tant que tel parce que la contrainte disparaît quand elle est acceptée par le collectif et quelles que soient les sociétés, quelles que soient les époques, pour pouvoir limiter et gérer les risques, toutes les sociétés ont dû choisir des contraintes et les imposer en termes de normes pour pouvoir assurer leur survie, les feux de signalisation, le code de la route par exemple. Et aujourd’hui l’idée c’est de se dire : comment si la contrainte notamment carbone ou empreinte anthropologique devient une contrainte qui est cardinale, qu’est-ce que ça va engendrer en terme de normes pour pouvoir avoir une vie qui est quand même sympa (faut avoir une touche de positif après tout) ce qu’on vient de se dire tout en ayant des changements qui sont beaucoup plus profonds, structurels. Et la dernière série de questionnements c’est de se dire : si le capitalisme ne disparaît pas mais devient une option possible, quelles sont les autres structures de société qui peuvent émerger et surtout comment on essaye de se prémunir de l’arrivée d’un nouveau système totalisant qui serait peut-être plus vert, plus vertueux mais qui serait aussi bâtard que les autres. Donc la question, c’est plus de se dire comment les individus peuvent se faire confiance, comment ils peuvent créer de nouveaux réseaux d’entreprendre, d’affinités ou de collaboration à l’échelle d’un immeuble, à l’échelle d’une ville, à l’échelle d’un territoire et créer une nouvelle synergie entre des acteurs privés et publics pour déjà avoir plus d’autonomie, pour être en adéquation avec les besoins des habitants, des usagers, des consommateurs mais également les ressources du territoire et au final rendre viable ou visible une société qui existe déjà mais qui est invisibilisée par la force des récits marketing et du capitalisme.
Marie-Cécile C’est complètement ça, ça me fait penser à la manière dont le capitalisme a atomisé les relations entre les gens et la capacité à faire collectif notamment enfin, je ressors Cory Doctorow et “son” techno féodalisme, enfin c’est pas “son” techno féodalisme mais en tout cas c’est la description très très juste de ce qui se passe en ce moment avec une atomisation totale des rapports de force, des moyens de pouvoir subvenir à ses besoins c’est l’ubérisation, c’est peut-être une description peu plus juste de l’hybridation… Ce qui moi me ramène aux organisations, voilà on leur en veut pas, j’ai encore un vif espoir dans l’être humain sinon je serais pas là et je pense que vous aussi vous partagez le même point de vue, même au sein des organisations. Il y a des êtres humains qui souffrent en fait, qui ont des convictions, qui cherchent à faire les choses bien, qui après partent faire des masters de la fin du monde… On appelle ça, au sein d’un petit groupe de redirectionnistes, des sentinelles, des personnes au sein des citadelles, les organisations sont des citadelles c’est des murailles qui reposent sur des fondations qui doivent absolument rester stables. Il faut surtout pas qu’il y ait la moindre couille dans le potage. Du coup ces citadelles elles vont renforcer leurs fondations et leurs murailles pour dire regardez, nous ça ne bougera pas, le capitalisme va dans le même sens que d’habitude, enfin des variations d’éco-responsabilité ou de je-ne-sais-quoi qu’on trouve et dans ces organisations là, il y a des gens qui réfléchissent différemment, en tout cas qui entrevoient d’autres possibilités mais n’arrivent pas à les concrétiser. On n’est pas là pour les jeter les organisations et on aime bien les collaborateurs souvent mais la question est maintenant de savoir comment on peut accompagner ces énormes machines à penser autrement et peut-être pas à penser leur fin, on sait qu’il y en a des organisations zombies comme on a des technologies zombies qu’on sait très bien qu’on ne pourra pas ni les alimenter en énergie ni les faire fonctionner fonctionner quoi les, tous les objets connectés en font partie entre autres comme des milliards de technologies zombies. Mais peut-être que les organisations pourraient… J’ai de plus en de plus en plus de personnes qui créent des entreprises et qui disent, j’ai un ancien élève de la promo trois du master stratégie design pour l’anthropocène qui a dit je vais créer mon cabinet de conseil et j’aurai dix sept cas et après je m’arrête. C’est décider c’est comme ça c’est son chiffre. Entrevoir la fin, c’est pas non plus quelque chose de négatif, il y a pas mal de personnes qui commencent et je pense que nous tous et toutes autour de cette table, commençons à percevoir le fait que réduire la voilure, envisager la fin… Dans les sujets qui m’intéressent beaucoup en ce moment, il y a par exemple la dénumérisation : est-ce qu’il y a pas des numérisations qui ont peut-être été un peu trop rapide dans certaines organisations et je suis sûre qu’il y en a qui en souffrent. sauf que c’est pas encore possible, il n’y a pas encore les endroits, les lieux, les petites failles qui font que certaines organisations, certaines personnes disent, des services publics aussi, on est allé trop loin. Est-ce que, dans un futur plus ou moins proche, OCTO pourrait pas proposer des services d’accompagnement à la dénumérisation partielle ou totale en disant ok on va vous aider à constater qu’il y a un truc qui n’a pas marché, que finalement cette promesse du numérique et de la numérisation elle a été explosée et que finalement ça a provoqué plus de souffrance que d’avantages. Vous avez dépensé de la thune, vous ne comprenez pas grand-chose à ce qui se passe, vous avez une empreinte écologique qui vous dépasse, une empreinte financière qui vous dépasse aussi, vous vous rendez compte que la sécurité au sein de vos systèmes est pétée, qu’est ce qu’on peut faire pour vous aider ?
Sara Frugarilla est là !
Marie-Cécile Exactement ! voilà finalement comment moi en tant que designer aussi je vais pouvoir accompagner ces personnes, avec le travail de Fanny en fond, pour juste entrevoir d’autres façons de faire quoi
Sara et d’ailleurs pour conclure tu m’avais parlé du fait que dans ton rôle de designer, parfois tu cherches à aller vers un essentiel d’approche en proposant même de ne rien faire parfois… Est-ce tu veux en dire un peu plus ?
Marie-Cécile Absolument ! Revenir à l’épure, se dire c’est quoi l’intervention du design finalement ? Peut-être que parfois la meilleure intervention c’est ne pas intervenir ! J’ai fait un petit dessin avec le spectre d’intervention du design donc tout au bout t’as le maximaliste, business as usual, je suis là, je fais je fais tout, je fais des interfaces, je fais des machins, je réponds à la commande du client sans la remettre en question, c’est magnifique j’extrais indirectement des trucs c’est génial puis à l’autre bout il y a juste je fais pas ou alors je délègue : je permets à d’autres personnes de designer ce qui les intéresse en fait, pourquoi ce serait moi qui viendrais faire un geste pour dire quoi faire, je suis pas là pour ça et juste parfois faut peut-être juste que je m’abstiennes, voilà que je ne dise pas que je ne fasse pas que que je parte teindre des moutons ! Je ne teins pas les moutons, je teins la laine qu’on enlève des moutons je tiens à vous rassurer quand même !!
Sara Fanny, un mot de la fin ?
Fanny par rapport à tout ce qu’on s’est dit, qui était dit de manière très joyeuse mais qui n’était pas toujours très joyeux, on n’est pas du tout vers la fin du monde, on est vers la fin d’un monde, un monde qui n’existe déjà plus si ce n’est dans notre imaginaire et en fait cette fin d’un monde elle peut être cool parce que c’est l’opportunité et la potentialité d’imaginer d’autres manières de faire société et en tant que designers ou anthropologues, Marie-Cécile vient de dire qu’il faut accepter de ne pas faire et moi je dirais qu’il faut aussi accepter de perdre. Moi j’accepte d’avoir des propos qui dérangent, d’avoir des propos qui vont fermer des sources de financement mais en fait c’est le jeu sinon on est juste des gros connards et ça ne sert pas forcément à grand chose et parler en termes de numérique essentiel c’est aussi se dire ben non en fait juste les gars allez voir d’autres connards mais non en fait on a d’autres combats maintenant et il faut aussi assumer ses propos et je suis persuadée que demain et après-demain ce sera très cool et on aura d’autres récits qui restent à inventer et avant d’inventer ces récits peut-être réapprenons à faire société et à faire confiance à son voisin ou son collègue plutôt qu’à des structures privées ou publiques.
Marie-Cécile J’ai un super mot de la fin quand même, je le pique à une consoeur à Serres qui disait la semaine dernière, c’est une cathédrale dont je ne verrai pas la fin, eh ben voilà on est en train de d’œuvrer à une cathédrale dont on ne verra peut-être pas la fin mais on s’en fout parce que ça va être chouette quand même !
Sara merci à toutes les deux, c’était passionnant, et je laisse Alexis conclure.
Alexis il y a quarante cinq post-it sur la table c’est ça et c’est là où je me demande qu’est-ce qui m’a pris d’accepter de bien vouloir faire ça ! Merci pour toutes ces ouvertures, pour toutes ces brèches même parce que je crois pas que vous ayez cité le mot mais entre apprendre à croire à autre chose, à ouvrir des portes ma façon à moi de le redonner ce serait ça, ce serait d’ouvrir des brèches. J’entends que c’est vos métiers avec vos expertises réciproques. Une phrase qui m’a marqué que tu as dit c’est si on cherche à changer de société sans changer la société et moi je levais les yeux au ciel mais qu’est ce qu’elle veut dire ah oui d’accord en regardant plus en détail je vois du coup toutes ces brèches, tous ces systèmes de croyances… La question que j’ai posé tout à l’heure sur le capitalisme, parce que voilà on en parle beaucoup, on est pour, on est contre bien au contraire et en même temps de quoi on parle ? alors si j’entends parce que j’entends un petit peu donc système totalisant, j’entends cette définition là mais j’entends aussi j’entendais aussi tout ce que la conjonction de l’extractivisme, productivisme, et consumérisme et là si je définis le capitalisme comme ça le vers est dans le fruit quoi effectivement vivement la fin du capitalisme et en même temps si c’est posséder ces moyens de production pour sa propre émancipation ben non pas vivement la fin du capitalisme donc attention aux définitions et que ce qu’on veut dire par ces mots-là et donc en quoi on croit quand on dit tel ou tel mot donc merci pour cette prise de hauteur cette prise de recul Je vais aller directement parce que je n’arriverais pas du tout à synthétiser vos différents échanges, vos réflexions, vos cheminements, je ne vais pas y arriver mais par contre j’ai essayé d’attraper les trucs qui m’inspirent sur cette question des numériques essentiels, utiles, acceptables, souhaitables. Je suis pas du tout sectaire sur les mots, c’est le mot qu’on a attrapé et on savait qu’il voulait rien dire c’est pour ça qu’on l’a pris pour s’interroger ensemble sur qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ce numérique essentiel. J’aime bien cette histoire de dénumérisation. Finalement qui sont les mieux placés que le développeur pour aller dé-coder, pour aller faire du reverse engineering, pour aller lire le code décrypté toutes les métiers les processus métier qui ont été encodés pour les redonner sous forme de papier, sous forme de processus sociaux. Je pense qu’il y a un avenir là-dedans il y a du business là-dedans, hein chers commerciaux chers animés par l’argent et la croissance, il y a beaucoup de croissance dans ce métier-là investissez dans la dénumérisation c’est l’avenir du numérique notamment et il y a peut-être aussi un autre petit truc je me suis dit tiens le numérique ça pourrait être super intéressant aussi de s’en servir parce que tu nous as dit que le capitalisme avait quelque chose d’une forte capacité à rendre acceptable les contradictions et le capitalisme vert en est un : nous bombarder de marketing pour rendre acceptable toutes les contradictions notamment peut-être le fairphone et en même temps voilà toutes les conditions d’exploitation qui peuvent être derrière les rendre acceptables et je me suis dit tiens et si le numérique tout d’un coup ou le design, on se mettait à rendre inacceptables ces contradictions. Qu’est-ce que ça donnerait si on mettait nos énergies, nos agendas, nos croyances au service de rendre inacceptables ces contradictions ? Je me suis dit tiens il y a peut-être des trucs, peut-être qu’on y contribue un petit peu dans cette idée de podcast pour mettre en lumière tous ces sujets-là donc j’ai retenu cinq grandes idées de solutions que vous nous avez partagées l’une l’autre ou de positionnement de ce que pourrait être les numériques essentiels. Premièrement, et cette petite remarque de rendre inacceptable ces contradictions peut y contribuer, ce serait par l’éducation, par la pédagogie parce que parler design, parler l’outil numérique, on le voit le numérique a changé le monde en vingt ans il pourrait très bien changer en vingt ans vers plus de sobriété, vers moins de capitalisme enfin moins d’extractivisme etc donc vers plus de soutenabilité donc éduquer, transmettre, rendre visible tout ça, c’est une force du numérique et on pourrait le mettre au service de. Donc premier grand thème. Deuxièmement, aider les collectifs à rediriger leur activité. Je l’ai redit comme ça mais en tout cas les accompagner pour prendre conscience de ce qu’ils font et peut-être aussi pour compter ce qui compte, ça me fait le point avec les autres points. Compter ce qui compte vraiment. Fanny tu disais “redéfinir la valeur”. Le numérique peut vachement aider à faire ça parce que voilà, pour savoir combien il y a de CO2 dans l’atmosphère c’est pas facile avec mes sens quoi, je vais avoir besoin d’outils pour me rendre tout ça visible au même titre que les euros sur mon compte en banque sont pas visibles j’ai besoin du numérique pour me le rendre visible. Voilà le numérique pour être hyper utile pour compter ce qui compte vraiment et peut-être moins d’euros et plus de ou plus directement d’ailleurs plus de bien-être, plus d’épanouissement etc donc aider les collectifs à rediriger l’activité notamment en comptant ce qui compte, vraiment rediriger la valeur. Je note aussi un autre truc c’est autour du numérique essentiel pour tisser plus de liens plutôt que pour séparer comme vous citiez sur les exemples de deux différentes plateformes qui compartiment, qui voilà qui rendent l’individu presque au service de la plateforme non plus le numérique pour pour l’émancipation des personnes il y a aussi des numériques émancipants, il y a aussi des numériques qui permettent de relier et aussi des numériques qui permettent de passer des crises et de s’en sortir pendant ses crises. Tu citais pendant le covid ou d’autre chose en tout cas il y a plein d’exemples de ce type-là de pratiques dans lequel le numérique a permis de garder le lien ou de garder le contact etc et développer d’en avoir plus comme ça, me paraît être de l’ordre du numérique essentiel ou des numériques essentiels. Alors un autre, c’est peut-être moins une forme de solution ça c’est la dernière des cinq que j’ai retenues, c’était le numérique sous contrainte, je vais l’appeler comme ça pour piquer ton ton le titre de ton podcast, Fanny. Peut-être que les numériques essentiels, c’est les numériques sous contrainte, c’est les numériques qui anticipent dès aujourd’hui dès maintenant leur exposition aux risques de sécheresse demain, de pénurie de ressources etc et qui par construction, par conception, par design choisissent de ne pas numériser telle et telle partie parce que c’est vital pour demain et donc on va pas s’exposer au risque de dépendances américaines ou asiatiques et on va choisir cette partie-là de ne surtout pas numériser parce qu’on veut être dépendant que de nous-mêmes, on va être souverains sur cette zone là et de l’autre côté oui ok on va apprendre de-ci de-là telle exposition au risque et on va numériser tel ou tel processus mais on le fait en conscience en faisant les choix, en ayant ouvert les brèches d’arrêter de croire que la numérisation c’est forcément bien tout va, bien non on ralentit, on se questionne là-dessus et on fait ses choix pour définir la juste place du numérique. Merci beaucoup pour ces réflexions et en voir je ne sais pas comment on conclut. Merci à tous pour votre écoute !
Voilà cet épisode est terminé. Vous en trouverez plein d’autres sur Frugarilla.fr et si vous préférez l’écrit ou les rencontres foncez aussi sur Frugarilla.fr et à bientôt !